Quelques réflexions à propos des luttes pour l'école Les luttes qui se développent aujourd'hui à travers le pays à partir de l'opposition de
nombreux enseignants, lycéens et souvent de parents contre les suppressions massives d'emplois d'enseignants dans l'éducation nationale, les débats qu'elles suscitent sur les conséquences
prévisibles de la politique Sarkozy-Darcos en matière d'éducation, mais aussi le manque de débouché politique de ces mobilisations montrent une fois de plus qu'il s'agit là d'une question de
société essentielle, parmi les plus mobilisatrices, qui mériterait un peu plus d'attention et de réflexion de la part de tous ceux qui militent pour l'émergence d'une véritable alternative au
social-libéralisme aujourd'hui dominateur à gauche. 1 : Une nouvelle réforme néo-libérale de l'école est en marche. Il y a trois ans exactement un parlement aux
ordres votait, malgré l'opposition massive de l'ensemble des acteurs du monde éducatif, une loi d'orientation << pour l'avenir de l'école >> portée par l'actuel premier
ministre dont les deux points phares restent l'instauration du fameux << socle commun des connaissances >> et la promotion du mérite individuel. Elle venait compléter la
<< loi pour l'égalité des chances << votée dans les mêmes conditions en février 2005 à l'initiative du ministre du travail d'alors Borloo, censée apporter une réponse
aux problèmes des jeunes de banlieue insurgés quelques mois auparavant, et dont la mesure essentielle consistait à rétablir l'apprentissage à 14 ans... avec le succès que l'on sait. Aujourd'hui, le
gouvernement s'est engagé dans une nouvelle série de réformes qui touchent aux fondamentaux du service public d'éducation nationale : Suppression de milliers d'emplois d'enseignants dans le
cadre de la politique de réduction du nombre de fonctionnaires de l'état ; Réformes en cours comme celle de l'école élémentaire à partir de la révision des programmes, ou en préparation
comme celles du lycée à partir de la restructuration des baccalauréats, ou de l'école maternelle suite au rapport Bentolila ; Préconisations ( pour partie déjà largement mises en
OEuvre ) du rapport Attali destinées in fine à privatiser l'enseignement public ( fin de la sectorisation scolaire ; autonomie complète des établissements scolaires mis
en concurrence entre eux et liberté de recrutement des enseignants par le chef d'établissement ; développer le financement privé des universités ... ); Rapport dit
<< livre vert >> de la commission Pochard sur la redéfinition du métier d'enseignant, véritable provocation contre toute une profession ( fin du statut ; mise
en concurrence des enseignants entre eux, individualisation des rémunérations sur la base des résultats scolaires obtenus... ) La liste n'est pas exhaustive ! Il n'y a rien là de
surprenant : dès son élection, Sarkozy avait clairement annoncé la couleur dans sa << Lettre aux éducateurs >> : Ce catalogue de mesures rétrogrades dessinait les
contours de ce qu'il nommait lui même une << refondation >> de l'école. Après la réforme des universités imposée en plein mois d'août, c'est bien d'une véritable
révolution dans la conception même du service public d'éducation dont il est question ici. 2 : La << feuille de route >> de l'agenda de Lisbonne. Le
conseil européen de Lisbonne de mars 2000 avait décidé de construire, à l'échéance de 2010, << l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du
monde >> Dans cette optique étaient formulés 13 objectifs dans le domaine de l'éducation qui forment depuis lors la feuille de route de tous les gouvernements de l'union européenne.
Des réformes ont été lancées dans la plupart des pays , qui prennent des formes diverses selon les spécificités de chacun, et la France n'est de ce point de vue qu'un exemple parmi d'autres. Mais
les objectifs à atteindre sont partout les mêmes. Citons entre autres pour ce qui concerne notre pays: 80% d'une classe d'âge au niveau d'un baccalauréat ( c'était déjà l'objectif de la loi de
1989, mais on sait que la réalité stagne autour de 60% depuis plus d'une décennie ) ; et 50% au niveau licence ( on est actuellement autour de 35% ). La plupart des mesures mises
en OEuvre aujourd'hui s'inscrivent dans cette perspective : ainsi de la réforme des programmes en élémentaire, destinée en principe à permettre l'accès d'un
plus grand nombre d'élèves à la réussite scolaire . A un autre niveau, c'est le projet de refonte des baccalauréats professionnels en trois ans accompagnant la disparition
programmée des BEP et anticipant sur une refonte globale des baccalauréats à venir, et la révision de la carte des formations - en particulier techniques et
professionnelles - , notamment à la faveur de la suppression massive de postes d'enseignants ( et d'options enseignées ) dans le 2nd degré . Bien entendu,
ces mesures vont de pair avec la mise en OEuvre de la politique de baisse du nombre d'emplois publics qu'impose la politique monétaire de la dite union européenne, avec l'exigence de
limitation du déficit public annuel à 3% du PIB. Or, comme le remarque avec pertinence Gilles Alfonsi, l'éducation nationale est le ministère où il existe le plus de possibilités de
suppressions d'emplois, vu le nombre de fonctionnaires relevant de ce secteur ( 1,155 million en tout, dont plus de 850 000 enseignants ).[1] Le gouvernement se trouve ainsi
confronté à une redoutable contradiction : faire mieux, avec des moyens en baisse. Résoudre l'échec scolaire qui reste de masse ( 150 000 sortants de l'école sans qualification chaque
année ! ), tout en faisant passer les suppressions de postes. Cela ne peut se faire qu'en développant un discours démago-populiste en direction des parents et des enseignants. Ainsi par
ex : << travailler plus pour gagner plus >> ( des heures sup remplaçant les postes supprimés ), en finir avec les
<< privilèges >> ( des enseignants - voyez les horaires, les statuts, etc .) , rétablir la << valeur travail >> et récompenser le
<< mérite individuel >> ( affectation des << bons élèves >> de banlieue dans des lycées prestigieux ), rétablir
l' << autorité >> de l'enseignant et la discipline à l'école ( le retour de la morale dans les programmes ), ce qui permettra
d'enseigner dans de meilleures conditions à des classes aux effectifs plus lourds. Dans le même temps le ministre affiche des ambitions positives: retour à des
enseignements artistiques dès le premier degré ( il faut bien satisfaire aux exigences d'un électorat de couches moyennes et supérieures pour qui les arts et la culture ont essentiellement
une fonction de pacification sociale ), et surtout mise en OEuvre de dispositifs multiples et variés censés apporter une aide spécifique aux élèves en difficulté et désireux de progresser, telles
que le développement des établissements << ambition réussite >> , la mise en place d'heures de soutien aux élèves en difficulté et d'études
surveillées ( les moyens << supplémentaires accordés à ce titre étant financés par la diminution des heures d'enseignement obligatoires pour tous ! )
etc... C'est contre les effets les plus immédiatement visibles de cette politique ( suppressions massives de postes notamment ) que grandit la mobilisation aujourd'hui. Et même si
elles ne remettent pas explicitement en cause les fonctions assignées à l'école depuis plusieurs décennies ( sélection sociale par l'échec et formation
d'une force de travail adaptée aux exigences du capitalisme moderne ), elles ouvrent des perspectives positives dans le contexte politico-social instable issu des dernières élections
municipales et cantonales. 3: Le handicap de l' absence de perspectives. L'échec relatif des stratégies dites de << discrimination positive >> mises en
OEuvre - notamment sous la forme des ZEP - depuis près de trois décennies ( mais sans les moyens à la hauteur des ambitions affichées ) a abouti à un découragement de bon nombre
d'enseignants, qui doutent aujourd'hui de l'éducabilité de tous les élèves et sont de plus en plus favorables à ce que l'orientation vers des filières courtes s'effectue le plus tôt possible dans
le parcours scolaire. Dans ce contexte, l'idéologie utilitariste complaisamment distillée depuis des décennies, tant par la gauche que par la droite, marque aujourd'hui profondément la
réflexion, y compris à gauche: On n'éduque plus, on forme la << ressource humaine >> que constitue l'individu au service de l'économie. Ainsi, la
question de la pertinence d'enseigner certaines disciplines << trop intellectuelles >> , << trop théoriques >> à certains élèves en difficulté n'est plus
une interrogation pour la plupart des enseignants et des parents qui acceptent sans sourciller le dogme des << handicaps socio-culturels >>. Ainsi, surtout, la question
de la nature et des modalités de l'échec scolaire repérable dès l'école maternelle et des mesures à mettre en OEuvre dès ce niveau ne sera pas posée ( la scolarisation des
enfants de deux ans est en voie de disparition sans que personne ne s'en émeuve; l'école maternelle - non obligatoire - promise à son remplacement par des jardins d'enfants
jusqu'à l'âge de cinq ans est dans les tuyaux ... ). Pourtant, de nombreux travaux menés notamment par des chercheurs en sciences de l'éducation montrent qu'il est possible
de lutter efficacement contre l'échec scolaire à condition de commencer très tôt - dès l'école maternelle - et de s'en donner les moyens (notamment en termes de scolarisation précoce
des enfants issus de milieux socialement défavorisés et de formation continue des enseignants ). Mais ces travaux ne font l'objet d'aucune diffusion systématique par l'institution et sont à
peine connus des personnels concernés. Sur la question scolaire comme sur bien d'autres, la relance de la bataille idéologique trop longtemps délaissée par les forces
progressistes en parallèle aux luttes pour les moyens permettant de mettre en OEuvre une politique éducative différente est une urgente nécessité.
Mais force est de constater que l'absence de toute perspective politique alternative à gauche constitue un obstacle essentiel au succès de ces luttes. En effet, la plupart des
propositions de réforme avancées par le gouvernement de N. Sarkozy en la matière font l'objet d'un consensus entre les forces de la droite libérale-autoritaire et celles du
social-libéralisme. Ce qui n'entre nullement en contradiction avec un soutien plus ou moins formel du PS aux luttes en cours contre les suppressions de postes ou la révision des
programmes de l'école élémentaire. Mais le soutien global apporté à la politique de l'Union Européenne, y compris en matière éducative, implique de vivre politiquement avec cette
contradiction sans chercher à la dépasser. Du coup, des batailles peuvent être gagnées, des annulations de mesures prévues de suppressions de postes peuvent être obtenues.
C'est important et il faut tout faire pour qu'il en soit ainsi. Mais au delà de quelques ajustements dictés par les rapports de force locaux, ces succès risquent de n'avoir
pratiquement aucune influence sur la politique globale du gouvernement . Dans le même temps - mais ceci explique cela - les forces constitutives de la << gauche de la
gauche >> sont aujourd'hui dans l'incapacité de porter ensemble dans le débat public et dans les luttes des contre propositions susceptibles d'ouvrir des pistes alternatives et
unificatrices, offrant des perspectives crédibles et mobilisatrices favorables au développement même des luttes. Pourtant, des propositions existent, avancées notamment par les syndicats ou
par le réseau école du PCF. Mais faute de s'intégrer dans un projet politique cohérent, elles restent confinées dans des cercles restreints de militants et de spécialistes . Communistes
Unitaires pourrait être un des ferments permettant d'avancer réellement sur ces deux terrains. Il faut pour cela passer un cap dans le développement de notre association
pour lui permettre de développer une réflexion propre, sur ce terrain comme sur bien d'autres, et de se doter d'un socle doctrinal lui permettant d'intervenir dans le débat politique en étant
identifié comme porteuse d'une hypothèse communiste novatrice. José TOVAR Le 28 03 08
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